dimanche 31 octobre 2010

Cristallisation secrète - Yoko Ogawa - Actes Sud

                                  
Cristallisation secrète
Etrange histoire entre rêve et cauchemar… Yoko Ogawa imagine une île coupée du monde. Régulièrement, (quotidiennement ?) une chose disparaît irrémédiablement ; ce peut être un objet comme un être vivant ou encore comme une partie d’être vivant. Il est impossible de vivre l’absence ou le manque puisque le pouvoir a mis en place une police du souvenir ou de la mémoire : il est interdit de se rappeler ou de garder des traces. Les contrevenants sont emmenés au risque de disparaître à leur tour. J’ai pensé à la façon dont certains régimes ont falsifié les photographies après avoir fait disparaître les individus, effacer les traces d’une existence. (Michel Guenassia explique bien le procédé dans « Le club des incorrigibles optimistes »).
La protagoniste, dont la mère, sculpteur, a été emmenée pour ne plus revenir, est écrivain. Le récit, contemplatif, évolue lentement autour de la rencontre entre un professeur et un navigateur et elle.
Oublier devient une habitude, se souvenir, un réel effort souvent vain.
A quoi se rattache un mot ?
Une écriture déroutante, un malaise sous-jacent, constant, une histoire sans fin, sans morale, sans espoir, un non-lieu terrible.
Yoko Ogawa m’a laissée seule face à l’absurde…


Extraits:

P209 :
Ces derniers temps, je sens mon corps s’éloigner de mon cœur. C’est comme si ma tête, mes bras, mes mamelons, mon tronc, mes jambes flottaient dans un endroit que mes mains n’atteindraient pas. Je ne peux que le regarder jouer avec. Cela aussi parce que j’ai perdu ma voix. Ma voix qui reliait ma chair à mon cœur a disparu, et je ne peux plus mettre de mots sur mes sensations ou ma volonté. Je suis réduite en morceaux à toute vitesse.

P222 :
-Je ne me sens pas sûre de moi. Même ainsi, le mot « roman » commence à devenir difficile à prononcer. C’est la preuve que la disparition est en train de s’installer. Bientôt, j’aurai tout oublié. Impossible de me souvenir.
J’ai baissé la tête, glissé mes doigts à travers mes cheveux. Il s’est penché pour me regarder par en dessous, a posé ses mains sur mes genoux.
-Non, ça va aller. Vous croyez sans doute qu’à chaque disparition le souvenir s’efface, mais en réalité ce n’est pas cela. Il est seulement en train de flotter au fond d’une eau où la lumière n’arrive pas. C’est pourquoi il suffit d’oser plonger la main au fond pour arriver peut-être à toucher quelque chose. Que l’on ramène à la lumière. C’est insupportable pour moi de regarder sans rien dire votre cœur s’épuiser.
-En continuant à écrire des romans, on peut protéger son cœur ?
-Bien sûr que oui.
Il a hoché la tête. Son souffle a atteint mes doigts.

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